Verre INAO

Verre de dégustation: à quel calice se vouer?

 

par Jérôme Estebe in La tribune de Genève

 

L’iconique verre INAO est devenu ringard. Par quoi le remplacer? Histoire, avis de pros et résistances.

 

L’iconique verre INAO, objet du culte bachique des décennies durant, ne fait plus guère rêver les amateurs et les professionnels. Son galbe et son ouverture étroite se montrent implacables avec les arômes et ne flattent guère la bouche des vins. Image: DR 
 
On l’appelle le verre INAO. Ou le verre ISO. Ou on ne l’appelle pas, mais on ne connaît que lui. Depuis l’aube des années 70 (lire encadré), il est de toutes les dégustations, de toutes les noubas bachiques, de toutes les caves et zincs, sur toutes les lèvres. Des lustres durant, il est demeuré l’outil de référence de l’analyse œnologique. Le contenant officiel, universel et donc totémique. Et patatras: l’INAO est tombé de son piédestal. «Il est clairement has been aujourd’hui», tranche Nicolas Herbin, dégustateur émérite chez Cave SA. «C’est un verre pour avions renifleurs, très efficace pour les arômes, trop peut-être, au détriment de la bouche. Il est complètement dépassé par la nouvelle génération, bien plus performante.»

Le tastevin des moines

Mais reprenons depuis le début. Au début, donc, était le tastevin. Une coupelle en argent, ou pas, dotée d’une anse, créée au XVIIe pour permettre l’analyse du divin breuvage. L’analyse en bouche principalement, l’objet ne favorisant guère l’examen olfactif. «N’oublions pas que les moines qui ont tracé la carte des terroirs bourguignons utilisaient le tastevin», glisse le créateur de verres et expert en crus vintage Laurent Vialette, de la société Royal Glass. «Leur hiérarchie d’appellations demeure pertinente aujourd’hui. C’est dire la justesse de leur jugement. Le nez d’un vin peut varier. La bouche, les textures, la forme restent le socle dur de la dégustation.»

On l’aura compris, il y a là deux écoles. Durant les sixties , quand naît l’«œnologie moderne» – dont la modernité se fane d’ailleurs gentiment – la snifette est privilégiée et la dégustation dissociée. L’olfactif d’abord, avec son jargon fleuri et souvent opaque. La bouche ensuite. Le verre INAO devient le calice de cette chapelle-là.

«C’est en effet un outil technique, destiné à déconstruire le vin, très efficace pour détecter les défauts au nez mais inadapté à une dégustation hédonique», assure le Dr Benoit Bach, professeur à l’École du vin de Changins. Avec ses étudiants, le chercheur travaille sur «le service du vin». «On s’est aperçu qu’œnologie et sommellerie étaient deux mondes qui ne communiquaient pas. Tous les tests scientifiques peuvent être mis en œuvre jusqu’à la mise en bouteilles. Après règne l’empirisme. Pourtant, beaucoup de phénomènes physiques et chimiques surviennent quand on verse un vin dans un verre. Même chose avec le carafage. On s’est ainsi aperçu que la verrerie destinée aux boissons distillées favorisait la brûlure de l’alcool au détriment des arômes. Il y a là un champ de recherche passionnant.»

Quiconque a déjà essayé de goûter le même cru dans trois verres aux formes distinctes sait, en tout cas, que les perceptions diffèrent, parfois de manière spectaculaire. Mais gare aux mirages. «Je me souviens d’une dégustation de ce type à l’école de Changins», raconte le vigneron Olivier Conne, du Domaine des Charmes, qui a troqué les vieux INAO par des Spiegelau Expert, «plus fins, plus modernes, plus fragiles aussi», il y a dix ans déjà. Et alors? «Dans la classe, beaucoup étaient frappés par les dissemblances. On nous a ensuite bandé les yeux et refait déguster sans que l’on ne touche les verres. Brusquement, le vin paraissait identique!» Comme quoi, notre subjectivité peut s’inviter autour du crachoir.

Reste the question. Dans quoi siroter son breuvage pour qu’il se présente sous son meilleur jour? Le marché regorge de produits aux looks et tarifs forts variables, parfois conçus – nous assure-t-on – pour un cépage particulier. Mais chéri, comment oses-tu boire du chardonnay dans un verre à pinot noir?!! «Il est clair qu’il y a beaucoup de marketing et d’esbroufe», sourit Benoit Bach. Peut-être faut-il simplement chérir le contenant que l’on tutoie. «Beaucoup de professionnels se baladent avec leur verre à eux, qui leur sert de référence», note Vincent Debergé, du Chat Botté. Lui propose toutefois à ses clients un Riedel adapté à chaque type de vin, soit une douzaine de modèles au total.

Le sacre de l’Ultima

Dans La Revue du Vin de France de mars 2018, un test comparatif porte aux nues l’Ultima de la jeune marque Royal Glass, conçu par Jean-Pierre Lagneau et le suscité Laurent Vialette, tous deux créateurs de verres glorieux en série. L’Expert de Spiegelau, désormais utilisé aux Caves ouvertes genevoises, c’était déjà eux. Leur Ultima a été adopté par Le Passeur de Vin, Cave SA et maints autres marchands et amateurs. Ce verre-là ne paie pas de mine ni ne plombe le budget. Sa force? Sa polyvalence. «J’étais sceptique», raconte Nicolas Herbin. «Mais force est de constater son universalité. On peut y déguster à la fois des choses explosives, des Châteauneuf ou des barolos, comme des vins plus délicats. Chaque fois, je suis frappé par la cohérence entre le nez et la bouche, par la précision des sensations ressenties.»

Certains demeurent pourtant attachés au côté cash du vieil INAO. «On le croise encore dans plein de manifestations œnologiques. Ou même dans des caves bordelaises prestigieuses», glisse Laurent Vialette. «Moi, je l’aime bien», confie Paul-Henri Soler, atypique et formidable vigneron genevois. «À Bordeaux, j’ai appris le métier avec. Il ne triche pas. Il tient dans la main. Sur les marchés en hiver, le vin peut se réchauffer. Surtout, c’est du costaud. Tu peux trinquer à la brutale, il ne se pète pas.»
Jules Chauvet et la genèse de l’INAO
Chimiste, vigneron, œnologue et dégustateur hors pair, le défunt Jules Chauvet reste le maître incontesté de l’école de la vinification naturelle. Il est aussi le père du verre ISO (ndlr: acronyme de Organisation internationale de normalisation), ou INAO (ndlr: acronyme de Institut national de l’origine et de la qualité). Dès les années 50, Chauvet découvre que le rapport entre le volume de vin et sa surface de contact à l’air conditionne directement le développement du bouquet. Cette théorie va inspirer la conception dudit verre, dont l’étroite ouverture et la forme des parois permettent aux arômes de se concentrer et de mieux s’exprimer. Au début des années 70, l’objet est sévèrement normalisé, sa taille et son galbe figés au millimètre près. Décrié aujourd’hui, il reste l’archétype du verre de dégustation sévère et polyvalent.