Cuisiner les restes de vin

Que faire avec les restes de vin?

 

par Ophélie Neiman in Le Monde

 

La soirée fut excellente. Et dans un formidable élan de générosité, vous avez ouvert trop de bouteilles. Vos convives, bien que sympathiques, ont déserté le salon avant le lever du soleil, sans terminer le vin. Ne leur en veuillez pas et, surtout, ne vous forcez pas à le boire!

Disposer de fonds de vin variés est indispensable. D’abord le vin se conserve mieux qu’on ne le croit, surtout avec les réfrigérateurs modernes. Ensuite personne ne le sait mais le vin blanc se révèle fantastique pour effacer les taches… de vin rouge – testé maintes fois et approuvé tout autant. Mais s’il est bon, mieux vaut l’employer à une mission plus noble : la cuisine.

Le nombre de recettes qui font appel au vin est quasi infini. Elles dépendent des régions, de la couleur du vin, de ses arômes, du type de plats, etc. : coq au vin, bœuf bourguignon, daube provençale, œufs en meurette avec du vin rouge. Et, globalement, n’importe quelle viande cuite en cocotte pour laquelle vous voudriez faire un fond de sauce (des paupiettes ou petit fumé) accueillera joyeusement un verre de vin lors de la cuisson. Poulet au vin jaune et aux morilles, c’est un must.

Le vin blanc n’est pas en reste, il agrémente le lapin à la moutarde, les moules marinières, le risotto, les cuisses de grenouilles, la fondue savoyarde, les saint-jacques au beurre blanc, le sauté de veau, le sauté de porc, le saute-mouton aussi. Pour une version plus chic, un fond de champagne suppléera le vin blanc.

N’allez pas croire que le vin pèche sur le dessert : fraises au vin rouge avec de la vanille, pêches ou poires au vin rouge avec des épices. Et avec un blanc sucré ? Un sabayon, un gâteau aux pommes, une salade de fruits. Et, bien sûr, un foie gras, des langoustines, une canette ou un simple poulet.

 

Une recette vieille comme le monde

Si le vin est tellement présent dans la cuisine, ce n’est pas seulement pour rincer le chef et ses commis. Il a de précieuses facultés. En marinade, il attendrit la chair des viandes et des poissons. L’alcool s’infiltre dans les textures, transmet les parfums du vin et des herbes aromatiques. Il permet aussi de conserver une viande et un poisson crus si le frigo est en panne. En déglaçage, il détache et lie les sucs des viandes et des fruits à la sauce. Par ailleurs, même si ce procédé est obsolète (à moins que votre robinet ne vous lâche lui aussi), le vin était au Moyen Age plus hygiénique que l’eau. Cuisiner au vin était la garantie de ne pas contaminer les plats.

C’est pourquoi on le retrouve dans la plupart des recettes médiévales, celles compilées dans Le Viandier, de Taillevent (Maxtor France, 2015), maître cuisinier de Charles V et Charles VI, ou dans Le Ménagier de Paris, manuscrit culinaire de la fin du XIVe siècle (Le Livre de poche, 2010). Son usage remonte même à l’Antiquité : dans les écrits d’Horace figure une lamproie avec une sauce faite d’anchois, de vin vieux et d’huile. Le livre de cuisine Apicius, de l’Antiquité tardive, propose un lapin avec une sauce au vin rouge.

Voilà pour la culture mais elle ne nous aide guère à répondre à une question bien légitime : quel vin choisir pour cuisiner ? Il suffit d’appliquer la même base que pour les accords mets-vins. Un plat de terroir appelle un vin du même lieu de naissance. Basiquement, on s’accorde sur la couleur : à poisson et viande blanche, vin blanc ; à viande rouge et gibier, vin rouge. On tient compte de la puissance : à mets délicat, vin délicat ; à sauce puissante, vin puissant. Les fins gourmets joueront sur les arômes. Un sauvignon ou un vin blanc aux notes d’agrumes s’entendra bien avec une sauce citronnée, un bourgogne blanc boisé accompagnera une sauce crémeuse aux champignons. Un vin rouge fruité et peu tannique soulignera des fraises tandis qu’un bordeaux tannique complétera une sauce marchand de vin.

 

Une recette effarante

Inutile, évidemment, de choisir un grand cru, qui perdra toute sa finesse à la cuisson. Mieux vaut un vin rond et très fruité, qui transmettra ses arômes. A savoir que, si la cuisson met ces derniers en valeur, elle révèle aussi les défauts d’un vin. Les mauvais vins n’ont donc pas leur place dans l’assiette.

Enfin, si vous voulez pousser le concept du vin en cuisine jusqu’au bout, sachez que David Murphy, blogueur culinaire américain (Foodnservice) adepte du multicuiseur programmable, vient de publier une recette effarante. Il se sert de son autocuiseur… pour faire du vin. Du jus de raisin, du sucre, de la levure et hop, quarante-huit heures sur la fonction « yaourt ». Après la cuisine au vin, voici la cuisine du vin.