Jean-Louis Trintignant

Jean-Louis Trintignant : « Le vin et la poésie sont toujours liés »

 

par Laure Gasparotto in Le Monde

©Photo Le Monde

 

Quand il ne monte pas sur les planches, l’infatigable comédien est dans ses vignes du Gard, un domaine viticole que travaille et fait progresser un couple d’amis. Entretien.

 

Une force le porte. A 86 ans, Jean-Louis Trintignant répète qu’il est vieux et va arrêter de travailler. Il n’en est rien. Il sera sur les écrans à l’automne aux côtés d’Isabelle Huppert dans Happy End, de Michael Haneke. En attendant, il est en tournée en France pour un récital de poésie. Il le donnera, le 7 mars, à Paris, Salle Pleyel, accompagné de l’accordéoniste Daniel Mille et d’un quatuor à cordes, sur une musique d’Astor Piazzolla.
C’est compter sans sa vie à Uzès (Gard), où il habite près du domaine viticole Rouge Garance, en appellation côtes-du-rhône, qu’il a acheté il y a tout juste vingt ans. Trintignant connaît le vin, et en parle aussi bien que du reste.

 

Dans votre famille, le vin occupait-il une place importante ?

Une place centrale. Mon grand-père était vigneron, mon père était vigneron. Et moi je connais beaucoup de vignerons. Je les aime. Ce sont des gens très manuels et quand même très poétiques, imaginatifs.

Je passe beaucoup de temps avec des copains qui ont créé un groupe qui s’appelle Les Toqués des Dentelles. Il s’agit d’une dizaine de vignerons, dont la plupart sont de Gigondas [Vaucluse], tout près des ­Dentelles de Montmirail. D’autres viennent du Gard, comme nous avec le ­Domaine Rouge Garance, ou Rémy Klein ­ (Domaine La Réméjeanne), ou encore la cave d’Estézargues.

Oui, le vin, c’est très important. Mon petit-fils Roman [Kolinka] leur accorde également de la valeur dans le restaurant qu’il a créé, La Famille, dans une ancienne boulangerie sous les halles d’Uzès.

 

Quels sont vos premiers souvenirs de vin ?

Chez nous, on buvait du vin coupé à l’eau. Depuis, je n’ai pas rencontré beaucoup de gens qui buvaient du vin avec de l’eau. Mais, nous, on buvait du bon vin avec de l’eau. Si on n’en met pas trop, c’est pas mal !

 

Le faites-vous encore ?

Non. Ce n’est pas bien. J’aime trop le vin pour poursuivre cette pratique familiale. Parfois, si, par nostalgie, ça m’arrive. [Sourire.] Il faudrait autoriser les vignerons à le faire pour baisser les degrés d’alcool qui deviennent trop élevés. J’ai demandé à mon ami Bertrand Cortellini, qui élabore notre Rouge Garance, de ne plus faire des vins à 14 degrés mais à 12, en les coupant à l’eau. Il ne veut pas. Son intégrité est en jeu ! Pourtant, notre région est pile celle où on pourrait le faire.

 

Qu’aimez-vous boire ?

En tant qu’acheteur, comme le vin est cher, je me suis spécialisé dans les petites appellations que je trouve magnifiques comme les côtes-de-duras. J’ai peu de vins de Bourgogne ou de Bordeaux. Quand je suis en tournée de théâtre, je trouve dans chaque ville des vins merveilleux. Dernièrement, à Béziers [Hérault], j’ai bu de très bons faugères. A Antibes [Alpes-Maritimes], où j’ai joué également, j’ai découvert un très bon vin de Saint-Tropez [Var]. Mais on a bu aussi du Château Citran, un cru bourgeois bien fait !

 

Vos grandes émotions dans le vin ?

J’ai eu la chance de visiter des grandes maisons. Ma plus forte émotion, c’est en Bourgogne, au domaine de la Romanée-Conti. Le maître de chai nous a fait goûter le vin en bouteille et sur fût. Merveilleux. A Bordeaux, j’ai visité Cheval Blanc. Ce vin m’a plu. A l’étranger aussi j’ai dégusté de beaux vins, en Italie et en Espagne.

 

Comment en êtes-vous arrivé à acheter un domaine viticole ?

Mes amis Claudie et Bertrand Cortellini possédaient un domaine de près de trente hectares. Ils donnaient leurs raisins à la coopérative du village. Mais ils souhaitaient produire eux-mêmes leur vin. Je leur ai proposé de les aider à faire une cave. Ils ont accepté. Ils sont restés les décideurs. Ils me font venir pour le choix des cuvées. On a plusieurs petites parcelles. On goûte le vin de chacune d’elles, et on décide des assemblages. L’un sera la « Cuvée Feuille de Garance », un autre la « Cuvée Fleur de Garance », etc.

Chaque année, on fait ça. Mais seul le maître de chai sait de quel assemblage il s’agit, à base de grenache, syrah ou cinsault. J’aime bien le pur cinsault, qu’il soit rouge ou rosé. Cela dit, mon ami Bertrand Cortellini prend quand même ma fiche d’assemblage, mais, au fond, je crois qu’il s’en fiche. L’étiquette, c’est un autre ami qui l’a réalisée : le dessinateur Enki Bilal.

 

Buvez-vous toujours du vin ?

Je commence à être très vieux et je bois toujours du vin. Pas beaucoup. Mais tous les jours, à tous les repas. Du rouge, surtout. Je pense que ce n’est pas mauvais pour la santé. En tout cas, je n’en ressens pas les méfaits. Je ne m’en vante pas trop non plus auprès de mon médecin.

 

Votre vin est-il sain justement ?

Rouge Garance est en bio. Mais ce n’est pas évident de faire du bio quand on a des voisins viticulteurs qui ne le font pas. Il faudrait que tout le monde s’y mette. Pendant longtemps, les vins bio n’étaient pas bons. A présent, c’est différent. Je crois que je vieillis bien parce que je bois et je mange sain.

 

Qu’avez-vous dans votre cave ?

Quelques premiers grands crus de bordeaux tout de même, comme Latour, Cheval Blanc, des graves, tous les châteaux de Pauillac, d’ailleurs il n’y en a pas beaucoup, et des saint-estèphe, parce que j’ai des amis dans le Médoc. J’ai également du Château Margaux ainsi que du Haut-Marbuzet que j’achète chez les propriétaires, parce que je les aime bien. Je dois avoir un millier de bouteilles.

Je partage cette passion du vin avec ma femme. Avant, elle était mariée avec un type qui avait une très belle cave. Enfin, je crois, parce qu’elle en parle souvent, notamment des bourgognes. Elle boit plus de vins blancs que moi. Et pour la cuisine, c’est souvent plus intéressant de l’accompagner de blanc.

 

Comment décririez-vous le vin de Rouge Garance ?

Un vin honnête. Cela fait vingt ans qu’on y travaille. Les Cortellini lui ont fait faire beaucoup de progrès. Je leur en suis très reconnaissant. Il y a un goût que je n’aime pas trop dans les vins du Sud, un goût faisandé ou de sous-bois, un goût animal. On s’est retrouvé avec ce goût pour les millésimes 2005 et 2006, une expérience de vins sans soufre. Ils avaient pris un goût sauvage. Je ne les ai pas gardés.

Oui, mais pas beaucoup. Le soufre préserve la qualité et la personnalité du vin. Il faut du temps pour comprendre et faire un bon vin. Mais on ne produit qu’une cuvée par an. Et tout à la main. Mes amis trouvent que c’est plus intéressant de travailler avec des gens qu’avec des machines. Je me rends parfois au ­domaine au moment des vendanges, si je n’ai rien à faire.

 

En fait vous n’arrêtez pas…

Je dis toujours que je vais arrêter et je continue. Les trajets en voiture à travers la France, arriver dans des salles pleines, voyager avec Alexandre Vernerey, qui me conduit et qui a mis en scène le spectacle… Tout cela se fait naturellement. Et pourtant ça m’est très douloureux de monter sur scène. Pourquoi continuer à se faire du mal ? Parce que les mots sont bouleversants.

A la fin du spectacle, je récite un poème du Canadien Gaston Miron, avec une musique de Piazzolla interprétée par l’accordéoniste Daniel Mille, et je le dédie à ma fille Marie, morte il y a quatorze ans, avec laquelle j’ai beaucoup joué sur scène.

« Par le mince regard qui me reste au fond du froid/J’affirme ô mon amour que tu existes. (…)/Tu es mon amour, ma ceinture fléchée d’univers, ma danse carrée des quatre coins d’horizon/(…) Je bois à la gourde vide du sens de la vie… » Vous savez, le vin et la poésie sont toujours liés.