Grappe de Raisin

Henry Marionnet, le vigneron rebelle de Touraine

 

par Ophélie Neiman in Le Monde

Vignes sans porte-greffes, vinification sans sulfite… Ce vigneron désuet et respecté prend des paris audacieux et les gagne. Portrait.

 

Henry Marionnet a l’œil qui frise et ses phrases se terminent volontiers par un éclat de rire. « Je suis heureux de faire les vins que j’aime », dit-il le plus simplement du monde. A ses côtés, son fils Jean-Sébastien lui ressemble comme deux gouttes d’eau, mais a plus de retenue. Il a repris le domaine et n’a pas encore accompli le quart des malices de son père, les coups de poker qui ont des airs de provocation mais qui permettent d’emporter la mise.

 

Henry Marionnet, délicieusement désuet dans son attitude, a 75 ans et de bonnes manières. Rien ne laisse paraître que ce vigneron, parti de pas grand-chose et dont personne ne conteste la qualité des bouteilles, s’est toujours conduit comme un rebelle de la viticulture, pour finalement se retrouver à la pointe du vin. Le palmarès est là : son Domaine de la Charmoise, en Touraine, signe le plus connu des vins sans soufre, la plus grosse production française de vignes franches de pied (non greffées) et vinifie les plus vieilles vignes du pays.

Rien n’annonçait ces curieux records. En 1967, il récupère 20 hectares de vignes du « patriarche ». « Mais c’étaient des cépages américains inutilisables. Il fallait tout refaire. » Il s’y attelle sans douter parce que, le vin, il sait que c’est sa vie depuis qu’il a 4 ans. Un coup de foudre sous forme de « cuite monumentale » : « Je me souviens encore du frisson qui m’a parcouru tout le corps quand j’ai senti les arômes du vin. Juste avant de le boire ! »

 

En fait, ce souvenir n’est pas étranger au style Marionnet. Les vins du ­Domaine de la Charmoise possèdent un caractère follement aromatique, fruité, gourmand. Ce sont des vins à boire, plus qu’à déguster. « Ce qui compte avant tout, c’est la gourmandise. » Il reprend une phrase de son père, leur seul point d’accord : « La qualité d’un vin, c’est quand un verre en appelle un autre. » Et ça marche. La rumeur prétend que ses vins ne rendent pas ivres.

 

Le vin d’avant le phylloxéra

En 1990, il tente un vin sans soufre, pour en améliorer le côté fruité. Nouveau succès. C’est ce vin qui, paradoxalement, lui attire aujourd’hui les foudres… Car, dans l’esprit des puristes, il faut être bio avant d’oser le sans soufre. Ce qui n’est pas son cas. Mais Henry Marionnet se moque des chapelles. Et le bio, il n’y croit pas. Jean-Sébastien, 40 ans, semble, lui, plus ouvert à la réflexion. Cela attendra, il y a plus excitant.

 

Car Henry Marionnet aime rêver : il pense à ce que pouvait être le vin avant le phylloxéra, avant que 99,99 % du vignoble français ne pousse sur des porte-greffes. Il tente un pari inédit en 1992, plante un hectare de vignes non greffées, dites « franches de pied ». Mystère, le phylloxéra n’y touche pas. Il en cultive maintenant 5,5 hectares qui fascinent la communauté viticole. En 1999, un voisin prenant sa retraite lui propose d’y adjoindre un bout de vignes très particulier : elles dateraient d’avant le phylloxéra. Stupéfait, il les fait analyser : elles ont été plantées vers 1820 ! « Par des contemporains de Napoléon, vous vous rendez compte ? » Ce sont les plus vieilles vignes enregistrées en France. Il en tire un vin d’une puissance et d’une pureté incroyables.

 

Dernière facétie : alors que la renommée d’un domaine en fait systématiquement exploser les prix, tous ses vins sont vendus entre 8 euros et 18 euros, sauf sa vigne bicentenaire, dont la bouteille monte à 51 euros. « Vous pensez que je peux augmenter ? Ce n’est pas mon habitude. » Il reste néanmoins une bonne ­façon d’énerver cet homme si poli : lui parler du château de Chambord. C’est lui qui est choisi pour y planter de la vigne, et il demande à le faire à partir de ses vignes napoléoniennes. Mais le projet pourrait être refusé. Pour la première fois, Henry Marionnet n’est pas maître à bord. Et il ne compte pas rentrer dans le rang.