Pascaline Lepeltier

Être la première meilleure sommelière de France veut dire que les choses changent

Crédits: par Alexandre Abellan in Vitisphère

 
Inspirée autant qu’inspirante, la sommelière ligérienne basée à New York partage sa joie d’avoir remporté un incroyable doublé : les titres de meilleur ouvrier de France et meilleur sommelier de France.

Une question bête… Êtes-vous la meilleure sommelière ou le meilleur sommelier de France ?
Pascaline Lepeltier : La question a son importance aujourd’hui, mais il ne faut pas caricaturer. Le mot sommelier existe dans le dictionnaire français au féminin, je suis donc la meilleure sommelière. Je ne suis par contre la première femme à remporter le titre que pour la nouvelle formule du concours, qui date de 1986. Avant, il y avait eu deux sommelières à le remporter en tant que restauratrices (en 1978 et 1980), mais elles ont été oubliées depuis…

Être aujourd’hui la première meilleure sommelière de France veut dire que les choses changent. Il y a de plus en plus de femmes, je ne suis que la pointe de l’iceberg. Peut-être qu’il y a vingt ou trente ans il était plus difficile pour des parents d’accepter que leur fille aille servir du vin en salle. Désormais, nous avons la possibilité de choisir librement. Et si je peux confirmer dans leur passion de jeunes femmes, j’aurai gagné. C’est ce que je me disais sur la scène ce dimanche [lors de la finale du meilleur sommelier de France].

 

S’il est impressionnant à 37 ans (voir encadré), votre parcours professionnel est aussi atypique. Comment avez-vous bifurqué de la philosophie à la sommellerie ?
Mes parents ne sont pas issus du monde du vin. J’ai découvert le vin avec mon enseignant de philosophie au lycée. C’était un esthète et nous avons fêté avec la grande dame de Veuve Clicquot ma bonne note de philo au bac (19/20 !). Après des années de prépa pour Normal Sup’, j’ai passé ma maîtrise de philosophie et je préparais l’agrégation. J’ai eu une crise existentielle : sans vivre la philosophie, comment l’enseigner ?

J’ai pris une année sabbatique et le travail dans la restauration m’a plus appris que de lire des concepts. J’avais 22 ans, j’ai eu des difficultés pour intégrer une école hôtelière, car j’étais considérée comme trop diplômée. J’ai pu faire deux masters de restauration à Angers et réaliser des stages hôteliers. Ayant atteint l’âge limite, j’ai eu ma mention complémentaire de sommellerie à 25 ans. À trois mois, c’était trop tard : j’étais trop vieille ! J’ai eu la chance d’être embauchée par le restaurant Rouge Tomate pour développer une charte nutritionnelle de sélection de boissons. Y compris de vin.

 

Le sujet des bienfaits et des risques liés à la consommation de vin semble bien épineux…
On sait qu’il y a de l’alcool dans le vin, c’est indéniable. Le tout est de savoir s’il importe d’avoir des ingrédients d’origine bio dans les vins… J’ai envie de supporter des viticulteurs respectueux de leur environnement, avec le minimum d’intrants. C’est là où l’on trouve les expressions les plus parlantes du terroir. J’ai grandi à dix minutes de Nicolas Joly et de la Coulée de Serrant, j’ai une sensibilité certaine pour les vins nature. Mais certains prennent une liberté anarchique qui ne me touche pas.

Je suis impliqué dans un projet sur des vignes hybrides historiques de l’état de New York, plantées dans les Finger Lakes. Nous achetons avec un partenaire des raisins bio de vieux cépages (Catawba et Delaware), l’idée est de faire des vins de soif et de plaisir sans traitements dans une zone viticole extrême. Ça fonctionne, il faut juste savoir s’adapter aux conditions du millésime. L’an dernier nous avons fait un vin pétillant naturel, ce millésime il n’y avait pas assez d’acidité : ce sera un vin rouge !

 

Vous avez dédié votre victoire au sommelier Gérard Basset, pour le soutenir dans ses moments difficiles*. Est-il un modèle pour vous ?
Comme beaucoup, j’ai suivi son parcours de loin. Pour préparer mes concours cette année, je voulais passer du temps avec lui. Bien sûr c’est l’un des plus grands sommeliers du monde, mais c’est aussi un homme exceptionnel. J’ai passé deux jours chez lui cet été, à Southampton. Nous avons travaillé les techniques de dégustation, mais j’y allais surtout pour son énergie. Quand on est dans la recherche de prix, il faut trouver sa motivation profonde pour donner du sens à cette quête d’exception. Gérard Basset m’a confirmé que j’étais sur la bonne voie. Le concours n’est pas une fin en soi. C’est une expertise à gagner pour continuer d’aider les gens à éduquer leur palais par la dégustation. La viticulture est le fer de lance de l’agriculture dans la réflexion sur le bien boire, et donc le bien manger.

 

* : Basé en Angleterre, le meilleur sommelier du monde 2010 suit un traitement intensif contre son cancer de l’œsophage, diagnostiqué incurable. Tenant son assemblée générale le lendemain de la finale qu’elle organise, l’Union de la Sommellerie Française (UDSF) s’est également placée sous le signe de pensées à Gérard Basset.

 

Un palmarès conséquent
Ce n’est pas peu dire que Pascaline Lepeltier rafle les titres: de ses débuts en 2006 avec les médailles de meilleur jeune sommelier des vins de la Loire et de Bretagne, à la consécration en 2018 de meilleur sommelier de France ce 11 novembre (au salon Equiphotel de Paris) et de Meilleur Ouvrier de France (MOF) ce 30 septembre (au château de Fonscolombe, en Provence). Installée à New York depuis 2009, elle a remporté le prestigieux diplôme de Master Sommelier en 2014, ainsi que les titres « prophète du nouveau vin » pour la revue Time Out, « l’évangéliste du vin naturel » pour Food & Wine, auteure de la meilleure carte de vins 2017 selon World of Fine Wines…

Ayant d’abord animé la salle du restaurant belge Rouge Tomate Chelsea avant d’en prendre en charge la carte des boissons, elle vient de rejoindre en tant qu’associée le restaurant français Racines NY. Dès son retour elle était en salle pour faire découvrir sa carte des vins.