Illustration philosophie du vin

Le vin, un prétexte à philosopher

par Jean-Yves Vif in La Montagne

 

Entre le temps du vigneron et l’instant suspendu de la dégustation, la réflexion se fait philosophique. À défaut d’être conceptualisé comme objet philosophique, le vin n’en est pas moins un bon prétexte à philosopher.

Des étapes de la vie, l’esthétique, l’éthique, et pour certains, la religieuse que conçoit Kierkegaard, In vino veritas appartient à la première, celle de la jouissance. Vie de l’instant et recherche du plaisir, le vin sans être un objet philosophique a, de tout temps, constitué un prétexte à philosopher.

Outre le Symposium des buveurs dans la Grèce antique, on retrouve Platon avec son « Banquet », éthymologiquement « l’action de boire le vin », au travers du propos d’Alcibiade : « La vérité est dans le vin?! » Et l’ivresse se confrontera en permanence à la modération.

Socrate avec sa raison appelle à la modération et veut résister aux pulsions. Plus tard Nietzsche ne tranchera pas entre Apollon et notre ami Dionysos, dieu du vin, du plaisir et de l’ivresse. 
Rabelais, tout comme Montaigne, n’affirmait-il pas que le vin est fait pour être bu et non pas analysé savamment?? Ne tombons pas pour autant dans l’excès de Montaigne : « Pour être bon buveur, il ne faut pas avoir le palais si tendre. »

Dans Gargantua, Rabelais poursuit : « Ce n’est pas rire mais boire qui est le propre de l’homme… boire du vin bon et frais. » Rétorquons que déguster, chambré, un Léoville-Barton 1982 ou un Volnay Clos-des-Chênes 1989 de Lafarge entraîne un profond plaisir tant le palais se charge longtemps de la douce chaleur soudain confondue entre le pinot noir et le cabernet associé au merlot.

Sartre, maître de l’existentialisme, et de Beauvoir, nos contemporains, se réchauffaient quant à eux en toute simplicité au Café de Flore à grands coups de verres de blanc. Moins simple, le sujet se fait parfois religieux et politique. Ainsi Michel Onfray, l’hédoniste, vient de provoquer une tempête en déclarant : « En France, la liberté de produire et de boire du vin doit beaucoup à la culture judéo-chrétienne?! » 

 

Un élément de civilisation

Mais la notion de temps, le temps de faire le vin, celui du vieillissement et de la dégustation pousse mieux la réflexion. N’ignorons-nous pas beaucoup du bon tempo pour déguster un Chambertin Clos-de-Bèze 1993 de Bruno Clair?? Sur les deux bouteilles ouvertes récemment, l’une fatiguée accusait le poids des années, l’autre épanouie affichait encore un fruit éclatant. Preuve que les années ne marquent pas de façon identique le vin comme les hommes.

Sans pousser jusqu’à la métaphore de la condition humaine, les vignerons savent qu’il importe de maîtriser le temps et que l’on ne peut pas toujours le prendre. Cette histoire se comprend sur les collines de l’Arbois ou à Sauternes, là où vingt-cinq années permettent d’exprimer les mystérieuses senteurs du savagnin ou du sémillon. L’académicienne Danièle Sallenave résume : « Le vin est un élément de civilisation, il est même une philosophie […] regardons Rabelais dont les personnages saisissent le lien entre le vin, l’art de vivre et la pensée. »

Alors qu’importe nos contradictions et avec les philosophes de toutes obédiences, buvons à la pensée libre. Buvons à la santé d’une humanité meilleure, qu’avec sagesse, contribuent à bâtir des vignerons, les premiers grands philosophes du vin.